L’autisme : une maladie ou pas ?

On entend dire dans les communautés autistes oralisantes sur internet que l’autisme ne serait pas une maladie, que sa place ne devrait plus être au sein de la psychiatrie. Ces revendications qui visent l’autodétermination s’inscrivent dans un discours de rejet de la psychiatrie à travers une rhétorique qui consiste à distinguer l’autisme des autres diagnostics psychiatriques dans le but de justifier de la nécessité de reconsidérer sa paternité. Or il s’agit d’un objectif aux postulats sanistes qui a pour conséquences de renforcer le savoir-pouvoir psychiatrique au dépends des psychiatrisé‧es.


Ombre noire du visage d'un enfant de profil où l'on voit son cerveau en blanc apparaître au centre. La zone en haut à droite du cerveau est colorée en rouge pour la détacher du reste de l'image.

L’autisme face à la classification psychiatrique

La différence entre la maladie et le trouble dans la médecine physique

On va commencer avec quelques définitions pour savoir de quoi on parle.

La maladie est une altération des fonctions à l’origine de souffrances d’un individu. Sa définition médicale est donc étiologique, c’est-à-dire qu’elle se fonde sur l’étude des causes de l’affection. Quand on n’a pas la cause on parle de syndrome.

La science qui étudie les maladies s’appelle la pathologie. Mais la pathologie désigne aussi par extension un ensemble de manifestations d’une maladie et de ses effets morbides. C’est donc un des objets de la médecine. La science des maladies a pour objectif d’identifier les maladies, de les distinguer les unes des autres, de comprendre leur fonctionnement et de déterminer leurs causes. Mais la guérison c’est un autre objet de la médecine. Dire que la maladie se définit par le fait qu’elle soit guérissable est un gros raccourci. La maladie se définit par son caractère dysfonctionnel, pas par son potentiel curatif.

Selon l’Académie de médecine le trouble est la description subjective qu’un individu fait de son état et se veut plus proche de la définition du symptôme que de la maladie.

Déficience d’une fonction dont une personne a sujet de se plaindre, compte tenu de ses manifestations : douleur, gêne à l’accomplissement de gestes ou de fonctions usuels, etc.
La notion de trouble est essentiellement subjective, elle vise plus une fonction que l’anatomie (une amputation n’est pas un trouble) ; elle est à l’origine de la plupart des appels au médecin. Le trouble s’oppose au signe qui est objectif.

Académie de médecine

Le trouble en psychiatrie

La psychiatrie a historiquement eu soin d’organiser une classification des maladies qu’elle jugeait mentales. Sur le travail amorcé par les aliénistes elle poursuit la délimitation entre ce qui relève du comportement normal du comportement pathologique. Compte tenu de cette histoire du comportement déviant (qui ne suit pas les normes sociales de la morale) devenu pathologique il a donc été essentiel pour la psychiatrie de fonder sa taxonomie sur le modèle médical afin de se garantir une légitimité scientifique. Mais au fur et à mesure des décennies elle s’est retrouvée face à une impasse : la recherche de marqueurs biologiques fait chou blanc.

[…] bien que le manuel fournisse une classification des troubles mentaux, il
faut reconnaître qu’aucune définition ne spécifie de façon adéquate les limites précises
du concept de «trouble mental ». Pour ce concept, comme pour bien d’autres en médecine et en sciences, il n’existe pas de définition opérationnelle cohérente qui
s’appliquerait à toutes les situations.

Définition du “trouble mental” dans l’introduction du DSM 4

Contrainte de respecter davantage de rigueur scientifique, la psychiatrie fait donc machine arrière en 1994 sur les terminologies employées allant même jusqu’à reconnaître dans le DSM 4 l’invalidité de ses propres diagnostics. Il n’est donc plus question de déterminer des maladies chez des individus mais de reconnaître des comportements pathologiques par les cliniciens.

Dans le DSM-IV, on ne postule pas que chaque trouble mental soit une entité circonscrite, aux limites absolues l’isolant des autres troubles mentaux ou de l’absence de
trouble mental.

“Limitations de l’approche catégorielle”, introduction du DSM 4

Côté classifications, elle se retrouve avec plusieurs centaines de troubles aux critères flous, qui ne garantissent toujours pas à ce jour, ni la fiabilité, ni la validité scientifique des critères diagnostics.

Ce que nous pouvons observer c’est que le mot trouble vient remplacer maladie sans pour autant recouvrir un nouveau sens, laissant supposer davantage un besoin de garantir sa légitimité institutionnelle plus que suivre la rationalité qui accompagne ses prétentions.

L’autisme est-il un trouble psychiatrique ?

Officiellement on retrouve l’autisme dans le DSM sous le diagnostic de Trouble du Spectre Autistique. Il est rangé dans les troubles neurodéveloppementaux aux côtés du TDA/h, des troubles de la communication, des troubles dys et du Trouble Développemental de la Coordination. Leur point commun est le constat d’un retard de développement dans l’enfance. Ce retard il s’observe sur les acquisitions telles que la motricité, le contrôle de soi ou l’apprentissage scolaire, qui sont toutes standardisées et vérifiées par un médecin via le carnet de santé.

Puisque le trouble en psychiatrie est reconnu lorsque les signes et symptômes sont responsables d’une souffrance cliniquement significative et d’un dysfonctionnement dans plusieurs domaines importants, l’autisme a tout à fait sa place parmi la psychiatrie. Et pour cause puisque l’autisme est une réalité observée et définie par la psychiatrie uniquement. La phénoménologie autistique et ce qui en fait son consensus parmi les autistes s’ancre dans la reconnaissance d’un comportement atypique vis-à-vis d’une norme comportementale. Définir cet atypisme par une simple différence, divergence, ne rend pas l’autisme moins psychiatrique. L’atypisme reste pathologique, une divergence du normal, tant que la psychiatrie conservera sa légitimité au sein des sciences. Le modèle d’identification des autistes reste celui du modèle psychiatrique tant qu’il définira le dysfonctionnement comportemental.

Du pathologique sans pathologie

Il faut du sain pour avoir de la guérison

La psychiatrie maintient tout de même que ses diagnostics sont le reflet d’une réalité dysfonctionnelle qui provoque de la souffrance, ce qui est la définition de la maladie. Revenons donc sur la définition de la maladie. La maladie c’est l’affection, la dysfonction, l’anomalie biologique, avant toute idée de guérison.

Lire aussi : Les diagnostics c’est pour les dysfonctionnels

En fait cette définition de la maladie comme étant un état voué à guérir s’incrit dans une vision validiste et eugéniste de la maladie. Elle postule que tout état pathologique se veut être l’envers de l’état sain, état initial de tout individu normal. Cela suggère par conséquent que toute guérison permet un retour à cet état antérieur. Il n’y a pas plus empiriquement faux qu’une telle antagonisation sain/pathologique. Il peut s’avérer vrai pour des rhumes ou des gastro – et encore, on le voit avec le Covid dit “long” qui en réalité est la conséquence d’un développement d’une maladie immunitaire – mais lorsqu’il s’agit de pathologies il y a généralement un impact malgré la guérison. Et ne serait-ce parce que nos corps vieillissent nous n’avons pas un vécu aussi binaire que sain/pathologique.

L’étiquetage comme assujettissement

Ce renvoi dos-à-dos des concepts arbitraires de sain et pathologique est nécessaire dans nos sociétés capitalistes. Il vient délimiter le corps exploitable du corps qui ne l’est pas au travers d’étiquetages appliqués soigneusement par des biopouvoirs tels que la médecine du travail, la Maison Départementale des Personnes Handicapées ou simplement les visites de suivi médical consignées dans nos carnets de santé.

La psychiatrie est née dans ce terreau capitaliste et c’est sans difficultés qu’elle applique ce schéma binaire aux comportements immoraux au 18e siècle. Elle a d’abord, sur les traces des aliénistes, étoffé sa définition du pathologique dans les comportements en parlant de maladies car elle était persuadée d’être presque parvenue à en expliquer leurs causes (circulation des fluides, vapeurs, système nerveux, cerveau). Mais elle a été contrainte de rétro-pédaler face à la rigueur qu’exige toute discipline qui se prétend scientifique. Voilà comment elle s’est retrouvée à parler de troubles et à s’accrocher à ses manuels diagnostics. Elle s’accroche d’ailleurs beaucoup trop aux avancées de ses sœurs la psychologie et la neurologie tout en se gardant de revoir ses concepts psychanalytiques alors même qu’elle signe le divorce dans les années 60 – c’est d’ailleurs à ce moment-là qu’elle passe à la notion de trouble. Est-ce que la psychiatrie avance ? Non. Ça fait plusieurs dizaines d’années. Mais c’est pas le sujet ici. Quoique.

Les institutions sont douées pour nous expliquer qu’on a tort sur nos vies : un jour on est malade, un autre on est atypique et demain on est sous neurodéveloppés. Au final, nous restons hors de la norme valide et saine d’esprit. Bien sûr que les institutions font des différences entre toutes ces terminologies, et font évoluer leur vocabulaire. Elles le feront à chaque fois qu’on gagnera en autodétermination. Mais d’un point de vue épistémologique ce sont les mêmes réalités qui sont observées, celles du comportement pathologique, de l’anomalie donc. Ce sont des transpositions grossières dans la psychiatrie. Elles ne reposent sur rien d’autre que le besoin de coller au vocabulaire médical pour s’acheter une légitimité auprès du pouvoir en place. Et forcément que ce pouvoir ferme les yeux sur la validité scientifique de la psychiatrie puisqu’elle lui offre la possibilité d’enfermer par contournement des juridictions couvrant déjà la délinquance.

Nous restons des anomalies, des fêlés, des tarés. Discuter des différences de terminologies c’est faire le jeu des institutions qui nous gouvernent dans nos individualités jusqu’à nous coller nous-mêmes des étiquettes psychiatriques pour nous sentir avoir le droit de souffrir. Alors qu’au final, une fois les diagnostics obtenus, c’est pour mieux nous assujettir de l’autre côté. Nous sommes des individus pathologiques sans pathologie.

Le pari d’une émancipation

Nous avons ici un débat sur le statut de l’autisme. Qu’il s’agisse d’une maladie, d’un trouble ou d’un atypisme, épistémologiquement il restera une anomalie du comportement humain. Ce besoin de revendiquer l’autisme comme ne relevant pas de la maladie n’existe que dans un discours qui souhaite s’émanciper de la psychiatrisation.

Premier problème : L’autisme est psychiatrique jusqu’à preuve du contraire – jusqu’à ce que la science avance sur le sujet donc. Et c’est un trouble parce que ça ne peut pas être une maladie, au même titre que tous les diagnostics dans le DSM/CIM.

Deuxième problème : Ce discours est saniste car il s’appuie sur une comparaison avec les fous qui ne relèvent pas du neuro-développement pour justifier leur incompatibilité avec la psychiatrie.

Sauf que troisième problème : Le neuro-développement, ce n’est pas de la neurologie. C’est de la psychiatrie sauce psychanalyse. TSA et TDA/h sont des anomalies régressives du développement. C’est-à-dire qu’elles sont des distinctions entre les corps fonctionnels et dysfonctionnels sur un axe régression-maturité. La maturité étant quand nous grandissons avec notre âge, voire nous sommes trop âgés mentalemement pour notre âge (fonctionnels), et la régression étant le retard comportemental par rapport à la norme comportementale de notre âge (dysfonctionnels). L’infantilisation propre aux autistes et TDA/h vient de cet arbitrage paternaliste qui juge des comportements appartenants strictement à l’enfance, par une segmentation de la vie d’un individu toute aussi arbitraire.

C’est sur cet axe que peut s’inscrire la métrique raciste de l’intelligence (le Quotien Intellectuel) dont l’objectif est de justifier que des populations soient moins développées que d’autres. Ou devrais-je dire, moins neuro-développées que d’autres.

Enfin, je vous pose la question

Et si l’autisme était une maladie ? Si demain la médecine découvre le gène de l’autisme ou une atrophie des lobes ? Qu’est ce qu’on fait ? Ces discours sanistes risquent gros pour leur propre émancipation. Certes les autistes quitteraient les schizophrènes et autres bipolaires. Mais pour mieux rejoindre les trisomiques et les déments. Et qu’est-ce qui attend les malades de la neurologie ? La recherche d’une guérison au mieux, au pire l’eugénisme, comme le permet déjà la législation française sur l’interruption de grossesse en cas de détection de Trisomie 21.

Quel avenir souhaiter à nos phénomènes autistiques ? Nier notre folie autistique nous désaliène-t-il réellement ? Que perdons-nous à refuser la réalité folle et que gagnons-nous à chercher une nouvelle paternité médicale ?

Si ce que vous revendiquez c’est votre droit à exister tels que vous êtes, vous faites bien partie des fous. Si par contre vous revendiquez votre droit à exister en tant que différence neurologique, vous faites partie des malades. Et les malades n’ont jamais été les fous.

Xanaria

Militante et vulgarisatrice antipsy et antivalidiste

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