La Reine Charlotte (Bridgerton) : un récit antipsy ?

Capture d'écran de la série La Reine Charlotte, épisode 4, scène où le docteur monro prend le roi george les yeux dans les yeux et dit "ici tu n'es qu'un animal en cage". Le plan est très près de leurs visages et coupe leurs fronts. Le roi george est assis et baillonné. Il regarde le docteur avec crainte.

Plus qu’une rencontre amoureuse, c’est une rencontre émotionnelle et communautaire. Ce magnifique spin-off de La Reine Charlotte nous propose de voir le thème de la folie comme tragédie de la condition humaine. Je pense que nous avons affaire ici à un coup de génie. Voici mon analyse antipsy de quelques références historiques glissées dans la trame narrative.

Disclaimer :
Cet article peut contenir des spoilers car il analyse principalement l’épisode 4 du spin-off.
Le contenu de l’analyse revient sur une médecine appliquée aux fous dont les théories et traitements sont particulièrement violents pour les personnes sensibles à ces sujets. Néanmoins cet article se veut bref sur les descriptions de violences médicales, et émancipateur vis-à-vis des concepts sanistes du 18e siècle.

Le 4 mai 2023 nous a été offerte une mini-série sur Netflix intitulée La Reine Charlotte : Un chapitre Bridgerton. C’est une adaptation du livre de Julia Quinn et Shonda Rhimes produite par Shonda Rhimes elle-même. Après deux saisons des Bridgerton elle nous propose cette fois-ci de revenir sur le passé de la fabuleuse Reine Charlotte.

L’histoire commence alors qu’elle est forcée de se marier à George III. Le mariage est primordial car George se retrouve à la tête du Royaume-Uni à seulement 22 ans. Nous sommes à la fin du 18e siècle et le roi souffre alors déjà d’une maladie inconnue par les médecins, qu’il cache intentionnellement à Charlotte.

Ses symptômes semblent indiquer la fameuse hystérie convulsive, appelée ensuite trouble de conversion. Aujourd’hui elle est reconnue parmi les troubles somatoformes par le DSM et les troubles dissociatifs par la CIM. D’autres y verront une maniaco-dépression, renommée bipolarité aujourd’hui. Mais cette représentation pourrait nous faire penser à bien d’autres troubles mentaux. Je vous laisse volontiers jouer les psychiatres puisque les critères ne sont pas assez fiables pour permettre un consensus diagnostic.

L’hystérie a toute une histoire que l’on peut déjà retracer durant l’Antiquité. Elle est intimement liée, et c’est le cas de le dire, à la condition féminine. Mais on ne va pas s’attarder sur ce point ici puisque le personnage de la série est masculin.

La médecine face à la folie au XVIIIe siècle

L’impossible matérialité de la folie

Face à ces manifestations qualifiées de délirantes, la médecine semble incapable ni de déterminer la cause du problème, ni d’en calmer les symptômes. Se font donc face 3 disciplines : la diététique, la médecine humorale et la chirurgie.

  • Pas besoin de vous faire un dessin avec la diététique, il s’agit d’un traitement par le régime alimentaire.
  • La médecine humorale est une discipline qui vise à réduire toute affection physique à un déséquilibre des humeurs. Les humeurs sont des fluides (sang, bile) qui, parfois, se retrouvent bloqués dans leur circulation, créant ainsi des troubles somatiques. Elle est incarnée par le médecin indiquant qu’il y a un déséquilibre dans les jambes du roi.
  • Avec la chirurgie c’est plus hardcore : on pratique la trépanation. C’est une opération consistant à percer le crâne pour atteindre une zone du cerveau. L’hypothèse n’est d’ailleurs pas neurologique au départ mais humorale puisque la chirurgie consistait à faire évacuer les fluides du crâne pour soulager le patient. Il faut attendre 1888 pour voir apparaître la première neurochirurgie psychiatrique, ou lobotomie, par Gottlieb Burckhardt. Ce qui nous laisse imaginer que la série s’ancre dans une médecine précurseure de l’aliénisme.

La théorie des humeurs remonte à l’Antiquité. Aujourd’hui, bien que ses fondements soient invalidés, nous gardons des vestiges de ses concepts ne serait-ce que par les termes d’humeur et de tempérament (synonyme de température en latin) devenus synonymes d’état émotionnel. Cette médecine humorale s’occupait notamment des fous : violentes migraines, surdité, vertiges figuraient à cette époque parmi les folies. C’est elle qui est à l’origine de la classification psychiatrique des troubles de l’humeur qui porte encore ce nom.

Revenons-en à la scène de consultation. Ces trois médecins sont donc dans l’impasse et avouent ne rien pouvoir faire de plus. Aucun traitement physique ne permet de guérir le roi. Et alors que la mère exprime sa détresse voilà que sort des tribunes le docteur John Monro qui annonce une piste inattendue : le système nerveux.

La transcendance du système nerveux

Cette théorie apparaît au 18e siècle dans le prolongement de celle des humeurs. Les maladies nerveuses sont des affections non pas localisées dans des organes précis mais généralisées au corps. C’est un trouble qui touche le système nerveux entier. Les maladies des nerfs sont soit de l’ordre du sentiment, c’est-à-dire des ressentis (engourdissement, démangeaison, douleur), soit de l’ordre des fonctions motrices (paralysie, spasmes, épilepsie).

Et tout comme les humeurs, les nerfs sont sujets aux variations :

  • du corps : alimentation
  • de la physiologie : aliments
  • des événements de l’âme : passions, méditations
  • du monde : air chaud/froid, phases lunaires, lectures de romans, vie en société

C’est d’ailleurs de la médecine des nerfs que nous vient le lunatisme. Une maladie dont la cause s’expliquerait par la forte sensibilité du système nerveux aux variations de l’atmosphère et qui, comme les courants marins, serait agité par la Lune.

Ce qui devient vite intéressant dans cet épisode de diagnostic, c’est le traitement proposé par le docteur Monro : la parole. Mais pourquoi discuter si c’est notre système nerveux qui foire ? Parce que c’est notre système nerveux qui nous empêche de penser correctement le monde. Voilà pourquoi les docteurs s’offusquent. Même s’ils proposaient des traitements destinés aux fous, ils considéraient la maladie comme physique. Avec le système nerveux nous entrons dans une folie devenue psychologique : elle devient absence de raison.

Avec un système nerveux trop sensible c’est toute la perception du monde qui devient faussée. Et l’erreur de jugement de la réalité c’est du délire, c’est de la folie. La série a d’ailleurs bien insisté sur cette représentation de perte de contact avec la réalité du roi.

Le causes morales de la maladie mentale

L’avènement de la cure morale

La cure par la parole est avant tout un traitement moral. Le traitement moral est une pratique thérapeutique qui se développe dans la société occidentale au 18e siècle. La folie y est vue sous le prisme de la religion et est donc considérée comme un mal qui se répand chez les individus. Si une personne est touchée par ce mal, ce vice, c’est qu’elle n’est pas assez forte pour y résister et doit donc être punie pour ce manquement. Un fou est malade d’un vice, il faut donc vite le mettre en quarantaine pour éviter que ce vice ne se propage au reste de la société.

Voilà comment les fous se sont vus internés au 18e siècle en Europe dans des établissements non pas médicaux mais préfectoraux. La folie était une question d’hygiène publique : tout comportement moralement répréhensible faisait l’objet d’arrestation et d’enfermement. Les médecins qui se sont penchés sur ces fous enfermés ont donc pour mission de redresser ces comportements immoraux afin de permettre une remise en liberté. C’est dans ce contexte que se développe la médecine aliéniste devenue aujourd’hui psychiatrique.

Notons que les trois premiers docteurs de la série traitent ce médecin des nerfs de charlatan, ce à quoi la mère du roi répond :

“Les vrais médecins m’ont décue. J’ai donc élargi mon horizon.”

La Reine Charlotte : Un épisode Bridgerton, épisode 4 – Auprès du roi

Par contre ce médecin des nerfs dit ne pas pratiquer de traitements barbares comme la saignée mais en réalité il y avait des pratiques de purification par création de blessures ou de plaies, ainsi que des inoculations de la gale, d’eczéma ou de la variole.

Le docteur John Monro est un médecin qui a réellement existé et qui s’occupait des fous au Bethlem Royal Hospital (première institution psychiatrique en Europe). Nous n’avons aucune preuve qu’il ait traité le roi Georges III, seulement conseillé les médecins royaux. Bethlem est le plus ancien hôpital psychiatrique d’Europe. On le connait davantage sous sa déformation phonologique Bedlam dont le nom restera dans le langage courant pour définir le chaos et la folie d’une scène.

Du contrôle de soi à la discipline

Dans la série ce médecin annonçait traiter par la parole. Sauf que l’on se rend vite compte qu’il va aller bien au-delà. Et pour cause puisqu’il a bien annoncé la couleur : le roi doit se diriger lui-même autant qu’il doit diriger le pays. Cette thématique du contrôle de soi est très importante. Elle est le fondement de toute la théorie aliéniste et psychiatrique. Le Dr. Monro l’affirme bien comme étant l’origine des crises du roi :

“Votre esprit est indiscipliné. Libre, il teste les limites de la raison. […] C’est le seul remède. La soumission. Si vous ne pouvez vous contrôler, vous ne pouvez gouverner les autres. En attendant, je vous gouvernerai.”

La Reine Charlotte : Un épisode Bridgerton, épisode 4 – Auprès du roi

L’indiscipliné c’est celui qui ne respecte par la morale, c’est le corps qui ne se soumet pas à l’ordre. On comprend donc comment peut se déployer toute la pratique aliéniste visant à discipliner les fous par des thérapies toutes plus violentes les unes que les autres. Le fou ne peut être raisonné puisqu’il manque de discipline pour bien penser. Son esprit est faible donc affaibli. Cette logique là c’est ce qui fonde toute la connaissance psychiatrique. Inutile donc de s’étonner de voir des gens dire qu’être fou c’est être faible.

C’est la cure morale qui ramène le fou à la raison. Les maniaques devront donc subir la crainte d’un châtiment ou d’une honte publique pour apaiser leur colère. Les mélancoliques et hypocondriaques devront subir la colère pour décharger tout ce qui stagne en eux et les fige. Ce passage du traitement physique au traitement moral nous fait basculer d’un déterminisme innocent à une liberté fautive : le malade n’est pas affecté par la maladie, il en devient responsable. La maladie devient une faute qu’il faut sanctionner.

Je vous passe les exemples dans la série car ils peuvent déclencher des traumatisés (épisode 4). Ces tortures amènent le roi à dénoncer leur objectif :

“Notre but était de me guérir. Si on continue, je n’existerai plus ! Un roi brisé vaut-il mieux qu’un roi fou ?”

La Reine Charlotte : Un épisode Bridgerton, épisode 4 – Auprès du roi

Se gouverner soi-même devrait donc, selon les aliénistes, passer par la discipline d’une autorité supérieure à soi. Celle du médecin, elle-même assujettie à l’autorité de l’État. Ce rapport de force ne peut tenir avec le roi puisqu’il est à la fois patient et État. Dans le cadre de la série c’est une bonne façon de présenter les limites de l’aliénisme avec un roi qui de toute façon peut s’extraire de ce rapport de force quand il le désire. C’est tout ce qui fait l’autorité d’une telle médecine : l’ascendance disciplinaire.

La folie comme quête de sens

Selon moi ce qui rend le personnage du roi George encore plus intéressant dans cette figure du fou ce sont ses moments de folie. C’est lorsqu’il doit se soumettre à une responsabilité qui le dépasse ou oublier ses désirs pour servir son titre que ses symptômes se déclenchent. Plus loin dans l’épisode le roi explique à son médecin qu’il a toute sa vie été terrorisé d’être dans l’erreur car cela signifierait la perte de l’Angleterre. Chacun de ses gestes devenaient le signe d’une bonté ou d’une malédiction divine. Sous le prisme religieux le fou a toujours représenté le châtiment divin, que ce soit pour lui-même, ses proches ou bien l’humanité toute entière.

Je pense que l’explication donnée par le roi, comme chaque fou sait le faire pour lui-même, vaut bien plus que toutes les causes biologiques que peuvent trouver les médecins. Sa folie réside dans l’absurdité de ce qu’il vit. Il va d’ailleurs retourner de lui-même vers les traitements qu’il dénonce uniquement lorsqu’il se trouve dans une culpabilité insupportable. Quand on est coupable on mérite une punition, la boucle est bouclée. Le fou c’est celui qui doit trouver du sens dans l’absurdité de ce qu’il vit. Le roi George trouve du sens dans l’astronomie et la ferme mais comme on l’en empêche il se retrouve démuni et finit en crise.

Dénoncer un manque de contrôle de soi chez ceux qui vivent et traitent avec l’absurdité est bien pratique pour maintenir le statu quo. Mais il est encore plus pratique lorsqu’il assure la discipline de chaque individu : un panoptique hors des prisons. Le contrôle de soi c’est l’enfermement déployé jusque dans les esprits. Avec pour menace la folie comme punition. Les fous ne sont pas les aliénés. Ils sont les libres parmi les disciplinés.

Xanaria

Militante et vulgarisatrice antipsy et antivalidiste

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